Mémoire

La guerre en chantant

Publiée le : , dernière mise à jour : 29.06.2015

Empreintes de la nostalgie d'un avant guerre insouciant, des bonheurs brefs des permissions ou d'un patriotisme exacerbé, les chansons ont été les compagnes fidèles des poilus durant toute la Grande guerre. Les Archives départementales à Chamarande conservent de nombreux carnets de paroles et partitions rédigés par les soldats.

Les chansons d'un marin essonnien

Avant de travailler à la poudrerie du Bouchet de Vert-le-Petit et de terminer sa vie à Fontenay-le-Vicomte, le matelot-canonnier Marcel-Louis Delépine a parcouru la Méditerranée et l’Asie sur les navires de guerre français, combattu sur la terre ferme en Belgique et peut-être contribué à la mise en lieu sûr de l’or de la Banque de France en Amérique du Sud. Au cours de la campagne de Turquie en 1912-1913, il rédige un carnet de chansons illustré qui témoigne de ces périples et des préoccupations d’un soldat. Ce recueil le suivra pendant toute la Grande guerre.

Pour ce militaire de carrière engagé dès 1909 en tant que simple apprenti marin, la camaraderie entre soldats tient une place essentielle avec des morceaux comme "Mon poteau", "Les deux camarades" ou "Avoir un bon copain". L’hommage aux marins et à la marine est une autre thématique récurrente avec "La valse des flots bleus", "Péri en mer" ou "La légende des flots bleus". "Sur le croiseur qui roule bord sur bord Balotté par la tempête Les matelots que le danger rend fort Vaillamment bravent la mort" décrit avec lyrisme Les flots bleus. Probablement inspiré de ses navigations au long cours, l’évocation d’amours lointaines agrémentés d’illustrations ponctuent également ses carnets : "L'amour au Maroc", "Ma Napolitaine", la "Moréna". Fier de son pays et de la marine, son recueil témoigne aussi de l’attitude "fleur au fusil" des débuts du conflit. "...le gars l’arme altière prend son fusil et s’en va avec bonheur" conclut ainsi le refrain de "La voix du pays".

Se moquer de l’ennemi

Caricaturer l’adversaire par parole interposée est une arme fréquemment employée par les chansons de propagande plus ou moins officielle. Dans cette bataille des mots, les symboles occupent une place importante : "Allons plumons-la donc l’aigle boche, l’aigle boche..." invective l’air de "Allons, plumons-la donc !". Dans "L’empereur Guillaume", on dénonce l’avidité des alliés du Reich : "L’emp’reur Guillaume a trois nations / Qu’il a pris’ sous sa protection / Mais Autrichiens, Turcs et Bulgares / Se plaignent des profits trop rares…". La "Kaiseriole" tourne quant à elle en dérision la puissance allemande sur l’air de la Carmagnole : "Le Kaiser s’était bien promis d’être en sept - huit jours à Paris / Mais il ne l’a pu / Grâce au Belge têtu". Ces documents imprimés ou manuscrits sont souvent aussi ornés de caricatures moquant les animaux emblématiques ou les uniformes des belligérants : aigle allemand, ours russe, bulldog anglais, coq français, casque à plumeau des Autrichiens...

Le mal du pays et la nostalgie de l’avant-guerre

Si on critique peu l’horreur de la guerre directement, l’évocation d’un passé insouciant, d’un lieu familier et des proches restés au foyer reviennent régulièrement soulignant la dure vie du combattant. Le Paris réel ou mythique est célébré avec des accents de terre promise "Nous avons notre campagne:/ C’est Montmartre et c’est mois banal" revendique fièrement Réné Mirandelle, pourtant originaire d’Oncy près de Milly-la-Forêt. Plus fleur bleue, des classiques comme "Les yeux de ma blonde" et "Margot reste au village" mêlent envolées sentimentales et regrets de la patrie perdue. Quand on a pas d’épouse ou de compagne, la marraine de guerre est le lien affectif avec l’arrière: "De retour au front le jeun' homm' chaque semaine / Ecrivait longu’ment à sa petite marraine / Il lui répétait : je vous aimerai toujours". La naïveté candide de certaines paroles contraste avec la peur et l’épouvante vécues dans les tranchées...