Portrait

3 questions à… Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF)

Publiée le : , dernière mise à jour : 07.06.2022

Que propose la FHF pour le secteur du grand âge ?

Le secteur du grand âge connait depuis plusieurs mois une médiatisation croissante, fortement corrélée à l’actualité qui a secoué le secteur :grèves de 2018, crise sanitaire, scandale Orpéa…Ces différents temps ont montré que les français étaient de plus en plus soucieux de la bonne prise en charge des aînés. Mais si les difficultés que le secteur traverse sont réelles, elles ne doivent pas aboutir à un « Ehpad bashing » qui ne correspond pas au fonctionnement et à l’engagement de dizaines de milliers de professionnels. 
La FHF, en tant que représentant des acteurs publics, c’est-à-dire de plus de la moitié des établissements et services accueillant les personnes âgées en France, est une voix importante pour porter la réforme du grand âge et de l’autonomie.
A ce titre, la FHF a formulé 30 ambitions pour la santé et l’autonomie à destination des pouvoirs publics. L’objectif de ce travail est de proposer une feuille de route posant les jalons des réformes indispensables du quinquennat 2022-2027.

Concernant le grand âge, la FHF appelle à l’adoption, dès le début du quinquennat, d’une loi d’orientation pour le grand âge. Plus que d’une simple méthode, il s’agit d’engager un changement profond du modèle d’accompagnement et de fixer des grands objectifs dans une perspective de long terme. Pour que cette loi réponde à l’ambition que l’enjeu impose, elle doit :

  • Identifier de nouvelles sources de financement à la branche autonomie et définir une trajectoire financière pluriannuelle. La programmation doit représenter un besoin de financement supplémentaire d’environ 10 Mds€ à horizon 2030 conformément aux estimations de la Cour des comptes et du rapport Libault ;
  • Permettre d’accélérer le changement du modèle de d’accompagnement et la transformation de l’offre en renforçant l’approche domiciliaire et en garantissant une offre adaptée, diversifiée et équitable dans tous les territoires ;
  • Simplifier les modalités de pilotage, de gouvernance et de tarification des établissements et services.

De façon plus transversale, la FHF promeut un système de santé structuré à l’échelle des territoires. Les hôpitaux de proximité sont un modèle particulièrement adapté à la construction de projet de santé. Leur rôle d’acteurs de prévention doit être renforcé, notamment à destination des personnes âgées.

Comment peut-on anticiper le vieillissement de la population ?

Le caractère hautement prédictif des trajectoires démographiques permet de définir avec précision ce que seront les besoins de demain : notamment en termes de capacité d’accompagnement et de moyens humains. 

En effet, nous savons aujourd’hui que la nouvelle donne démographique sera exigeante pour l’ensemble du secteur et de la société toute entière. Pour ne vous citer que quelques chiffres, il est important de bien mesurer cet enjeu :

  • La France comptera 4,8 millions de personnes de plus de 85 ans en 2050, dont 2,2 millions en situation de perte d’autonomie ;
  • Une part des plus de 80 ans dans la population générale passant de 6% en 2020 à 9,5% en 2040 ;
  • 2,1 millions de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer contre 900.000 aujourd’hui, soit un nouveau cas toutes les 3 minutes.

Agir pour anticiper ce vieillissement devient indispensable afin d’investir dans l’offre et la transformer pour répondre aux attentes des personnes. Au sein de la FHF, nous identifions trois grandes priorités à mettre en place rapidement pour anticiper au mieux ce phénomène inexorable de vieillissement de la population.

La première de ces priorités concerne le renforcement et l’adaptation des moyens humains pour accompagner avec dignité les personnes âgées.
Si les accords du Ségur ont permis une nécessaire hausse des rémunérations des professionnels, il faut à présent entrer dans un second temps : celui du renforcement des effectifs. Donner les moyens aux établissements et aux services est un point central pour redonner du sens aux métiers du grand âge. Au sein des structures, c’est bien à la recherche de « bras » que sont les professionnels. C’est pourquoi la FHF demande avec force la programmation d’un plan pluriannuel de création d’emplois pour augmenter le temps d’accompagnement auprès des personnes âgées.
Ce plan doit aboutir à la création de 100.000 postes sur la durée du quinquennat, soit 20.000 par an. Cela représente, pour un Ehpad de 100 lits, une création nette de 3 postes chaque année sur l’ensemble du quinquennat à venir. Concrètement, ce plan de création d’emploi devrait permettre aux soignants d’augmenter leur temps d’accompagnement de 20 minutes de plus par jour et par résident. Ce sont 20 minutes précieuses, permettant aux soignants d’être dans un plus grand échange avec la personne âgée et de réaliser l’accompagnement le plus adapté possible.
En parallèle des créations de poste, la FHF soutient le développement et la diversification des compétences et des expertises des professionnels du grand âge.
Concrètement, nous défendons l’accélération de la mise en place en Ehpad d’une permanence infirmière 24h/24 (ou a minima d’une astreinte), ainsi que la généralisation de la formation d’assistant de soins en gérontologie à l’ensemble des soignants intervenants auprès des personnes âgées.
L’accompagnement de la personne âgée dépendante est aussi enrichissant qu’exigeant et c’est pour cela que les professionnels doivent être correctement formés.

La deuxième priorité est le renforcement et l’adaptation de l’offre d’accompagnement aux parcours de vie et aux attentes des personnes âgées.
Nous l’avons évoqué, l’urgence démographique impose de réformer rapidement l’offre d’accompagnement. Cependant, nous ne pouvons concevoir une réforme de cette importance sans tenir compte des nouvelles aspirations des usagers.
La première de toute est la volonté de vivre à son domicile aussi longtemps que possible. C’est la raison pour laquelle la FHF porte l’ambition du « virage domiciliaire ». Cette ambition suppose de dépasser l’opposition classique et souvent caricaturale entre établissement et domicile.
Pour permettre à chacun de choisir son mode de vie malgré la perte d’Autonomie, il convient de multiplier les modalités d’accompagnement à travers notamment : l’habitat inclusif, les services polyvalents à domicile et l’évolution des établissements vers des centres de ressources territoriaux tournés sur leurs territoires d’action.
Le développement à grande échelle de ces initiatives doit se faire en assurant à la population l’accessibilité financière de ces recours. Pour cela, il est important que le secteur public du domicile puisse être un acteur important et correctement réparti sur le territoire.
De façon plus générale, et parce que les seules solutions de renforcement de l’offre domiciliaire ne sera pas suffisante pour répondre à la pression démographique, la FHF estime nécessaire la création de 10.000 nouvelles « solutions » (places en Ehpad et dans les services à domicile) par an sur la durée du quinquennat.

Ces nouvelles solutions devront prendre en considération l’évolution des profils des futurs résidents en Ehpad. La FHF rappelle ainsi la nécessité de requalifier les Unité de soins de longue durée (USLD) pour leur donner plus de moyens. De même, il sera important de relancer un plan d’ouverture de PASA (pôle d’activités et de soins adaptés) et d’UHR (unité d’hébergement renforcé) afin de proposer l’accompagnement le plus adaptés aux résidents atteints de maladies neurodégénératives.

La troisième priorité est l’investissement dans la prévention.
Pour la FHF, la prévention de la perte d’autonomie, doit être vigoureusement amplifiée en faisant de l’amélioration de l’espérance de vie en bonne santé un objectif prioritaire. Cela passe tant par la prévention en population générale que celle en établissement médicosocial. Nous pouvons citer comme actions à mener :

  • Mise en place desrendez-vous réguliers de prévention, dès le moment du départ en retraite ;
  • Formation massive des professionnels à la prévention et diffusion des démarches de prévention dans l’ensemble des établissements et services ;
  • Octroi de moyens aux établissements médico-sociaux pour prévenir l’aggravation de la perte d’autonomie par la mise en place d’un « forfait prévention » pérenne.

Comment réformer le système de santé pour mieux prendre en charge le grand âge et la perte d’autonomie ?

L’ensemble des priorités précédemment développées présuppose une adéquation des moyens.
Le montant estimé pour répondre efficacement aux enjeux du grand âge est de 10Mds€ à horizon 2030. Ces ressources nouvelles doivent être intégrées et pilotées par la branche autonomie et sa nouvelle caisse de sécurité sociale : la CNSA. Elles permettront le financement des nouvelles solutions d’accompagnement et le renforcement des effectifs.
En termes d’investissement, les besoins sont également nombreux. Si les mesures découlant du Ségur de la Santé et du plan France relance actuellement déployées permettent à environ 10% des établissements de se rénover, elles ne sauraient être suffisantes. Le rapport LIBAULT estime à 15Mds€ les besoins d’investissement pour rénover 150.000 places. C’est 10 fois le montant du plan d’investissement Ségur, lui-même déjà exceptionnel dans son niveau. L’Ehpad de demain doit répondre aux nouvelles attentes en termes de qualité hôtelière (suppression des chambres doubles, taux d’équipement des chambres avec douche de 100%) et se tourner vers l’avenir en investiguant de nouvelles solutions technologiques (télémédecine, etc.).
Tout l’enjeu est de donner les moyens aux établissements de se moderniser sans que les couts de cette modernisation ne soient entièrement répercutés aux usagers par des augmentations trop importantes des prix de journée. 
A côté de ces mesures d’investissement, la FHF défend une réforme des modes de tarification à travers la fusion des sections soins et dépendance des Ehpad. Si cette mesure peut sembler technique, elle permettrait en réalité aux établissements de ne dépendre plus que d’un seul tarificateur : les ARS.