Interview

Un Essonnien remporte la prestigieuse médaille Fields !

Publiée le : , dernière mise à jour : 14.09.2022

Lauréat de la médaille Fields 2022, Hugo Duminil-Copin a grandi en Essonne, à Bures-sur-Yvette. Il est aujourd’hui professeur dans cette même ville à l’Institut des hautes études scientifiques (IHES) de l’université Paris-Saclay. Entretien avec ce crack des maths essonnien, à l’heure de la rentrée scolaire et universitaire.

Nous avons rencontré le dernier lauréat français et essonnien de la médaille Fields, Hugo Duminil-Copin. Cette récompense pour les mathématiciens de moins de 40 ans est la plus prestigieuse avec le prix Abel. Elle est équivalente à un prix Nobel, inexistant pour cette discipline.

Le 5 juillet, vous avez remporté la médaille Fields, l’équivalent du prix Nobel en mathématiques. Qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ?

C’était très particulier car j’ai appris que j’avais la médaille en janvier mais je n’avais pas le droit d’en parler jusqu’à la cérémonie, à part à ma femme, pas même aux collègues qui ont contribué à mes travaux ! J’ai en tout cas été assailli par un grand bonheur et un grand sens des responsabilités avec ce nouveau statut, qui implique de représenter les sciences au niveau mondial.

Ce prix prestigieux a-t-il changé votre quotidien ?

Oui, du tout au tout. Avant le 5 juillet, je n’existais pas pour le grand public et j’avais peu de visibilité en dehors du milieu scientifique. Du jour au lendemain, j’ai reçu une quantité incroyable de demandes d’interviews et de sollicitations. J’essaye maintenant de trouver un équilibre entre l’enseignement, la recherche et la communication autour des mathématiques.

Pourquoi la médaille Fields est-elle réservée aux mathématiciens de moins de 40 ans ?

C’est une bonne question ! Au départ, ce prix a été conçu comme un encouragement pour les jeunes chercheurs prometteurs à aller plus loin dans leurs recherches. Aujourd’hui, la médaille Fields est devenue la récompense reine en mathématiques et cette limite d’âge est restée. Mais à 36 ans, mes recherches sont loin d’être terminées !

Pour quels travaux avez-vous été récompensé ?

Je suis spécialiste de physique statistique, c’est-à-dire que j’étudie de façon mathématique la physique, notamment les probabilités de changement d’un système. Par exemple, pourquoi l’eau à 0 degré devient-elle de la glace ? Dans mon cas, j’ai été récompensé pour l’ensemble de mes travaux et en particulier ceux sur le modèle d’Ising : nous avons prouvé mathématiquement qu’un aimant chauffé au-delà d’une température critique (dite la température de Curie) cesse d’être un aimant.

Vous avez grandi en Essonne et avez obtenu votre master à l’université d’Orsay, devenue depuis Paris-Saclay, où vous êtes aujourd’hui enseignant-chercheur. Que représente ce département pour vous ?

Je suis né juste à côté, à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) mais j’ai grandi aux Ulis, puis à Bures-sur-Yvette à partir de 12 ans. J’étais d’ailleurs au collège La Guyonnerie. J’ai vécu une enfance très heureuse en Essonne dans ces deux villes et j’ai beaucoup aimé la Vallée de Chevreuse pour la possibilité de pratiquer des sports – ma mère était danseuse et mon père prof de sports - et les balades qu’on peut y faire. Mais j’avoue que j’ignorais l’existence de l’Institut des hautes études scientifiques (IHES) à Bures-sur-Yvette où je travaille aujourd’hui, qui était pourtant déjà un endroit glorieux pour les mathématiques à l’époque. C’est plutôt le hasard de la vie qui m’a fait revenir dans la ville de mon enfance.

Qu’est-ce qui vous a donc mené vers les mathématiques ?

Mon cursus au lycée et à l’université. J’ai eu des enseignants qui m’ont motivé et qui m’ont fait découvrir les aspects jouissifs des mathématiques. C’est un espace de création exceptionnel, un travail sur son esprit et sur sa façon de penser, pas juste des calculs et enchaîner des formules. Il s’agit de résoudre un problème, une énigme comme dans les jeux de logique tels que le Sudoku ou les mots croisés. Pourtant, quand je suis arrivé au lycée Louis-le-Grand à Paris, je me suis pris une claque en me retrouvant avant-avant-dernier à mon premier examen en mathématiques. C’est ce qui m’a donné envie de cravacher pour devenir meilleur.

La France compte désormais 13 médailles Fields avec la vôtre, alors que les jeunes Français sont parmi les derniers en mathématiques à l’école dans les classements internationaux. Est-ce contradictoire ?

Oui, d’un côté, la France encourage assez bien ceux qui ont des facilités en maths pour qu’ils excellent et deviennent des chercheurs. Mais de l’autre côté, il est essentiel de redonner le goût des mathématiques à nos élèves, même ceux qui ont des difficultés. Car les mathématiques servent énormément dans la vie quotidienne que ce soit sur le plan du raisonnement, de la logique, les notions de nombre, d’ordre de grandeur, de probabilités et de statistiques…

Est-ce ce que vous aimez transmettre à vos élèves ?

Je donne des cours à des étudiants de 1ère année jusqu’aux post-doctorants, à l’université de Genève (Suisse) et en master et doctorat à l’IHES. C’est plus facile car ils sont déjà convaincus par les mathématiques qu’ils ont choisi d’étudier. Mais j’essaye toujours de leur donner le goût de la résolution des problèmes.

Avez-vous d’autres passions ?

J’ai toujours beaucoup aimé le sport, le handball notamment, la musique et être avec mes amis. Je n’ai pas passé mon adolescence à lire des ouvrages scientifiques ! Aujourd’hui, je fais encore du sport même si moins depuis la naissance de ma fille, âgée de 15 mois. Ma plus grande passion, c’est elle. Elle vit à Genève avec ma femme, je dois donc jongler entre la Suisse et la région parisienne au quotidien. Mais j’ai la chance d’avoir une grande liberté et une grande variété dans mon métier. Entre les conférences, les exposés, les recherches, les rencontres et les interviews, aucune journée ne se ressemble.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Pas différemment d’avant. Actuellement, je gère l’après-médaille. Mais je vais continuer à enseigner et poursuivre nos travaux dans le domaine de la physique statistique. Il y a encore tellement de choses à découvrir. Et je suis loin de la retraite !