Science et recherche

En route vers la cuisine de 2050

Publiée le : , dernière mise à jour : 15.01.2018

À Orsay, dans le bouillonnement scientifique de l’université Paris-sud, se cache un laboratoire pas comme les autres. Parmi les éprouvettes et les béchers, la présence d’une table de cuisson et d’un robot mixeur étonne. Ici, la cuisine de demain se pense avec la science.

"Bienvenue au centre français d’innovation culinaire (CFIC)". Raphaël Haumont est spécialiste de la cristallographie, maitre de conférences à l’université Paris-sud et féru de cuisine. Une passion qui lui a permis de rencontrer le chef étoilé Thierry Marx et de créer avec lui en 2012 le CFIC.

Comprendre les produits

"Ici nous réfléchissons à la cuisine de 2050. Une cuisine durable répondant aux futurs défis environnementaux, économiques ou de santé", explique le chercheur. Grâce à la recherche fondamentale, ils explorent les propriétés physico-chimiques des produits pour mieux les utiliser. Le scientifique travaille par exemple sur des systèmes d’encapsulation à partir d’alginate, une substance extraite d’algues brunes. "Le principe est connu depuis les années 70 et provient de l’industrie pharmaceutique. Il a été repris par les pionniers de la cuisine moléculaire pour jouer sur les goûts et les textures", explique-t-il en se dirigeant vers un comptoir design dressé au milieu du laboratoire.

Raphaël Haumont en sort une solution d’alginate et de sirop de menthe dont il fait tomber quelques gouttes dans une eau riche en calcium. Instantanément, de petites billes de menthe comestibles se forment et s’amoncèlent au fond de l’eau. "L’alginate gélifie en présence du calcium. Nous avons adapté cette réaction pour obtenir des billes de grande contenance. Dès lors, rien n’empêche d’imaginer des canettes de soda comestibles, aromatisées, et totalement biodégradables". À partir de la même algue, le chercheur a mis au point un film étirable pour conserver les aliments. "Nous optimisons des procédés qui par la suite pourront déboucher sur une multitude d’applications".

Cuisine zéro déchet

Focus sur les aliments à présent. Toujours posté derrière son comptoir, le scientifique pèle une orange, en conserve l’écorce et la fait chauffer dans un chauffe-ballon. Cet appareil très courant en chimie permet de récupérer un mélange d’huiles essentielles et de gélifiants (pectines) naturellement présents dans cette partie du fruit. Une petite dose d’eau calcaire et le liquide se transforme immédiatement en marmelade d’orange. Pas de sucres supplémentaires, pas d’additifs mais le goût est bien là. "Ce que l’on considère habituellement comme un déchet est en fait totalement valorisable. C’est valable pour bien d’autres produits". La manipulation a séduit Thierry Marx qui l’a reprise pour une de ses recettes. Les deux hommes sont complémentaires. "Ma chimie est une aide à la cuisine et Thierry est la caution artisanat/entrepreneuriat/industrie de notre activité".

Liens avec l’industrie

Le duo a lancé une dynamique d’innovation et de dépôts de brevets. Ce n’est pas un hasard si la chaire "Cuisine du futur" créée en 2014 au sein du CFIC développe de "nouveaux outils pour de nouvelles émotions". Ainsi, dans un coin du laboratoire, trône un four à cuisson sous vide. "Système maison ! Une anti cocotte-minute peu énergivore qui nous a permis de faire des meringues ultra-alvéolées explosant en bouche". La curiosité et l’esprit scientifique du chef étoilé sont ici un véritable atout pour le CFIC. Elle offre aux deux hommes le temps nécessaire pour faire des essais et apprendre de leurs erreurs.

Le centre et sa chaire “Cuisine du future” illustrent parfaitement les passerelles existant entre recherche fondamentale et le monde de l’entreprise. Grâce à la fondation partenariale de l’université Paris Sud, de nombreux mécènes intéressés par les travaux du centre peuvent mettre la main à la pâte. "Danone nous finance par exemple une personne à temps plein pour mettre au point le yaourt de demain. Composé à 10% de lait et 90% de fruits il pallierait les intolérances au lactose de plus en plus fréquentes dans la population. À nous de recréer l’onctuosité du lait avec ce que nous offre la nature", conclut le chercheur.

 

Une véritable démarche pédagogique

Le centre français d’innovation culinaire est aussi né d’une envie de partager les sciences, celle de Raphaël Haumont. Le lieu est donc propice à la transmission des connaissances.

Il dispose d’un potager sur le campus d’Orsay, point de départ d’un parcours cuisine et chimie pour les enfants de 8 ans et plus. Les légumes cultivés sur place sont étudiés sous toutes les coutures ce qui permet au chercheur d’aiguiser les curiosités. Le jeune public découvre l’architecture et les propriétés des produits, entre dans la matière, transforme les légumes pour mieux les comprendre et les respecter. Au menu : spaghettis de légumes, rubixcub de ratatouille, billes d’alginate…les ateliers se veulent ludiques.

Côté étudiant, la démarche est la même. Lorsqu’il encadre les travaux pratiques de ses troisièmes années de licence en chimie, Raphaël Haumont privilégie le travail en projet. "Pourquoi coller les étudiants devant un protocole qu’ils doivent suivre à la lettre ? Je leur propose par exemple de recréer notre film alimentaire à base d’algue. Peu importe le résultat. Ce qui m’intéresse c’est la manière dont ils comptent y arriver. Je veux qu’ils soient curieux, qu’ils testent et qu’ils apprennent en s’amusant".

La présence de Thierry Marx est un stimulant pour eux. Elle concrétise ce qu’ils apprennent à l’université en termes de métiers et d’applications, donnant un sens à leur parcours. "Ils réfléchissent ainsi à un projet de vie, certains se découvrent même une passion. Ils ont raison, il faut mettre de la passion dans ce que l’on fait !".