Sécurité

L’Essonne fait front commun contre les rixes

Publiée le : , dernière mise à jour : 26.04.2024

Quelques jours après la mort de Shemseddine, battu à mort le 4 avril à la sortie de son collège à Viry-Chatillon, le Département organisait une grande conférence sur les rixes en Essonne le 22 avril à Evry-Courcouronnes, en partenariat avec l'association Ressources Urbaines. Elus, professionnels de l’éducation, de la justice et des forces de l’ordre ont pris la parole, avec l’éclairage d’un sociologue spécialiste des rivalités inter-quartiers.

« Le phénomène des rixes n’est pas nouveau mais il frappe notre territoire par le nombre de faits recensés, les mobiles évoqués, leur résonance et leurs répercussions », a constaté François Durovray, président du Département, en ouverture de la conférence. En poste depuis sept semaines à peine, la nouvelle préfète de l’Essonne, Frédérique Camilleri, a regretté de son côté le triste record détenu par le département qui lui a été rappelé à son arrivée : un quart des rixes en France ont lieu ici, en Essonne. « Notre territoire regorge de pépites, mais ce phénomène ternit sa réputation. Les rivalités inter-quartiers sont très fortes, avec un rajeunissement des auteurs et un accroissement de la violence. Comment agir en prévention pour les éviter et lutter contre cette culture de la rixe qui se transmet de génération en génération, oubliant même parfois quelles en sont les origines ? », s’est-elle interrogée.

Plan de lutte contre les rixes

Des actions ont déjà été mises en place ces dernières années dans le cadre d’un plan départemental de lutte contre les rixes : boucles d’alerte précoce, veille des réseaux sociaux pour dissuader le passage à l’acte, suivi géographique du phénomène, multiplication des opérations de contrôle sur la voie publique, vidéoprotection dans les établissements, déploiement de médiateurs scolaires dans les collèges, actions de prévention auprès des élèves… Un nouveau plan de prévention et de lutte contre les rixes est en cours d’élaboration. Il pourrait intégrer les annonces faites par le Premier ministre sur les violences des mineurs lors de sa visite à Viry-Chatillon, le 18 avril.

Trouver une solution pérenne

« Nous partageons tous le diagnostic de la réalité du phénomène et nous arrivons de plus en plus à stopper des débuts de rixes. Mais nous avons encore du mal à identifier la cause et à trouver une solution pérenne pour que nos jeunes arrêtent de se taper dessus », a résumé Alexandre Touzet, vice-président du Département en charge de la citoyenneté, de la prévention, de la sécurité et du monde combattant. Pascale Coq, directrice académique de l’Essonne, Jean-Marc Luca, directeur départemental de la sécurité publique, Hugues Sublet, colonel commandant de la gendarmerie départementale, et Hélène Aboukrat, cheffe de la division des mineurs et de la familles et référente rixes du parquet d’Evry, étaient également présents.

Spécialiste des rivalités inter-quartiers, le sociologue Marwan Mohammed, chercheur au CNRS, a apporté son éclairage sur ce sujet qu’il étudie depuis 20 ans : « Le terme de rixe, qui signifie querelle entre plusieurs personnes dans un lieu public, existe depuis l’Empire romain et n’a pas disparu. Mais aujourd’hui, la violence se rapproche de nous par sa politisation et sa médiatisation, elle arrive directement dans notre téléphone, filmée et diffusée instantanément. Est-ce une spécificité de l’Essonne ? Non, car les rixes existent aussi ailleurs, mais ici on les compte et on les fait donc davantage exister. Il y avait beaucoup plus de morts dans les rivalités inter-quartiers dans les années 1990 que maintenant, mais on oublie. Il n’en demeure pas moins qu’il faut agir ! »

« Y a embrouille »

Dans son livre « Y a embrouille. Sociologie des rivalités de quartier », Marwan Mohammed a identifié un « écosystème de l’embrouille » et les « structures de socialisation à l’embrouille », dont la première est la trajectoire scolaire. 50% des jeunes impliqués dans des rixes sont en effet en difficulté scolaire dès l’école primaire. Le contexte familial, les ressources, l’environnement résidentiel et la perte d’autorité éducative sont également des facteurs qui alimentent le « vivier social » des rivalités de quartier. « Il faut attaquer le mal à la racine en travaillant sur différentes temporalités : la courte, sur laquelle nous sommes devenus des experts, avec les réseaux sociaux, les boucles WhatsApp… ; mais aussi une temporalité longue, sur plusieurs années, afin de déconstruire la culture de l’embrouille et la logique de virilisme, par un partenariat entre quartiers et des actions à la fois institutionnelles et informelles », a détaillé le sociologue. A titre d’exemple, dans le Val-de-Marne, des quartiers rivaux de Champigny et de Villiers-sur-Marne ont fait la paix depuis 2017. Mais ils n’ont pas encore réussi à déconstruire ce que Marwan Mohammed appelle le « nationalisme de cage d’escalier ».

Prévenir ou guérir

Trois témoignages ont ensuite porté sur des expérimentations menées pour « prévenir » ou « guérir » ces situations de conflits inter-quartiers. A Fleury-Mérogis par exemple, la ville a lancé des « Ateliers de la fraternité » en 2022 suite à la mort d’un jeune de 17 ans dans un règlement de comptes. « Nous avons mis tout le monde autour de la table, en donnant la parole en priorité aux jeunes et aux parents, pour construire ensemble des solutions aux difficultés que rencontrent les jeunes des quartiers populaires », a expliqué le maire de la ville, Olivier Corzani. Ces ateliers ont donné lieu à la rédaction d’un Livre blanc qui recense l’ensemble de ces propositions, sur la prévention, l’autonomie des jeunes, le vivre ensemble, l’espace de vie…

Emilie Petit, déléguée générale du Forum Français de la Sécurité Urbaine, a elle témoigné de l’intérêt d’un plan partenarial de prévention des rixes mis en place par la Ville d’Evry, de la phase de diagnostic (questionnaire, séminaires, entretiens avec les habitants…) au plan d’action (ateliers, propositions, restitution, vote des élus…). Enfin, Blanche Saraga-Aplogan, cadre éducative en charge du Pôle Centralisateur de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), a présenté le concept de la « justice restaurative », qui consiste à faire dialoguer l’auteur d’une infraction avec la personne victime d’une atteinte. Objectif : retrouver l’apaisement, par la responsabilisation de l’auteur, sa réinsertion dans la société et en aidant la victime à se reconstruire.

« Notre objectif, c’est la recherche de la paix »

Dans la salle, un père a pris la parole pour livrer son témoignage poignant : son fils Massiega, âgé aujourd’hui de 24 ans, a perdu la vue dans une rixe entre bandes rivales. Depuis, des parents de jeunes de trois villes ont créé l’association Quartiers sans violences, à Vigneux-sur-Seine, Draveil et Montgeron. « Ce qu’on veut, c’est qu’il n’y ait plus de bagarres, qu’ils ne se tuent plus, a expliqué le père de Massiega. Quand on va parler à ces jeunes, ils nous écoutent et nous avons gagné la paix à 60%. Notre objectif maintenant, c’est la recherche de la paix dans tous les quartiers. »